Au cours du dernier week-end, j’ai relu les deux derniers ouvrages de Don Tapscott, soit «Grown up Digtal» et Wikinomics, question de me remettre dans le bain en prévision du lancement cet automne de son prochain livre intitulé: «Macrowikinomics: Rebooting Business and the World» et d’une surprise que vous devinez peut-être…
Et c’est là que l’idée m’est venue …ou plutôt une série de questions… Pourquoi ne parle-t-on actuellement que des réseaux et médias sociaux, que des blogues, de Twitter, Facebook, FourSquare, etc ? Pourquoi les wikis sont-ils presque tombés dans l’oubli ? Pourquoi seulement la conversation et pourquoi pas la collaboration ? Le Web 2.0 ne serait-il qu’un phénomène d’exposition de soi et à la limite, de participation ?
Ce qui expliquerait que bien peu d’initiatives wikis atteignent un large public, à l’exception de Wikipedia. En effet, on a vu quel effet d’attraction populaire et médiatique a pu avoir cette plate-forme collaborative et surtout son fondateur Jimmy Wales lors du dernier webcom-Montréal. En passant, je vous présente deux conférences du fondateur de ce dernier et séparées par cinq ans. Cinq ans dans le Web c’est une éternité. Les modes 2.0 passent et pourtant les wikis demeurent… Parce qu’au fond, ils se basent sur un principe qui n’est pas nouveau: la collaboration.
Le premier a été enregistré à la conférence TED en 2005.
Le second l’a été au dernier webcom-Montréal en mai 2010.
Plus populaires…
Et pourtant, les wikis sont et de loin plus populaires que les blogues et les réseaux sociaux en entreprise. Ironique tout de même… Habituellement, les entreprises sont à la remorque de la société et du Web pour ce qui est de l’adoption des technologies du Web 2.0. Et pourtant, dans ce cas, c’est le contraire.
Que ce soit en Amérique du Nord ou en Europe, ce sont, en fait, les wikis et les fils RSS qui sont les principales technologies du Web 2.0 utilisées par les entreprises, comme le font foi ces deux graphiques, l’un de Forrester et l’autre publié par Jane McConell.
Ces derniers datent de 2007-2008 mais un sondage fait par Toby Ward, l’an dernier, sur intranetblog.com donne une idée tout aussi cohérente de l’avance qu’ont les wikis sur les autres technologies en termes d’adoption par les entreprises.
L’étude de Ward indique aussi une autre réalité d’entreprise. Même si elles intègrent les wikis et les fils RSS, ces dernières en sont encore à l’ère des intranets 1.0, de la messagerie instantanée et des forums de discussion et si elles envisagent de passer à l’entreprise 2.0 en intégrant ses outils, 48 % d’entre elles le feront avec SharePoint !
Très intéressant… Et très nord-américain comme attitude. La majorité des entreprises ici, comme chez nos voisins du Sud, ont largement intégré les technologies du Web 1.0, technologies dites «propriétaires», dominées par les grands fournisseurs de produits «licenciés» que sont Microsoft, IBM, SAP et autres. Donc, avec de larges et coûteux investissements, pas question de laisser tomber ces dernières pour des solutions en code source ouvert ou l’intégration de logiciels libres… Mais ça, c’est un autre débat…
Les wikis, c’est du concret…
Pour en revenir aux wikis, leur utilisation en entreprise donne des résultats à la fois spectaculaires et très probants. Dans Wikinomics, Tapscott parle de l’expérience de l’institution bancaire Dreadner Kleinwort Wasserstein, qui a introduit plusieurs pilotes de wikis en 2006. Après 6 mois le trafic dépassait celui de l’intranet. De plus, les usagers ont coupé de 75 % leur usage du courriel et l’entreprise a coupé de moitié le temps passé en réunions… À l’origine de ce projet, JP Rangaswani, CEO de l’année en 2003 et que j’ai rencontré en 2007 à la conférence LeWeb à Paris où il était un des rares conférenciers à parler du Web 2.0 en entreprise. J’avais donc publié ce billet. Je l’ai rencontré de nouveau à Boston en juin dernier où il était conférencier à Enterprise 2.0 et j’ai publié cet autre billet. En passant, nous devrions confirmer bientôt sa venue à webcom-Montréal.
Tout aussi efficace comme expérience mais bien plus spectaculaire, c’est ce qu’a fait la CIA avec son projet Intellipedia, mené de main de maître par Don Burke et Sean Dennehy et leur partenaire commercial, nul autre que Google…
Voici ce que j’en disais à la suite d’une présentation faite en juin 2008 à la conférence Enterprise 2.0 à Boston. Efficace et spectaculaire… Deux mots qu’on n’associe guère aux wikis et pourtant… Ces derniers sont aussi à la base du succès de SocialText, le principal fournisseur de wikis pour les entreprises, hors du giron des grands fournisseurs, avec la française XWiki. Le slogan de SocialText est porté fièrement par son fondateur, Ross Mayfiled : «Do it the Wiki Way», alors que celui de XWiki est «Mieux travailler ensemble», rien de moins…
Ci-haut, un montage que j’ai fait avec Ross, son T-Shirt «Wiki Way» et leur ancienne page d’accueil, qui montre bien l’aspect pratique de l’utilisation des wikis par les entreprises. La nouvelle page d’accueil de leur site «parle» moins…
Un wiki comme CMS ?
J’aime aussi beaucoup le travail que fait ici au Québec, l’ami Marc Laporte dans le domaine du wiki libre. Marc est une figure internationale dans le domaine et comme pour XWiki en Europe, offre une alternative bon marché pour les PME et organismes et associations qui n’ont pas de grosses architectures technologiques traditionnelles à protéger. Marc travaille dans le cadre du projet TikiWiki, projet qui est présenté ainsi :
«TikiWiki CMS/Groupware, is a powerful, multilingual wiki-based Content Management System (CMS). Tiki can be used to create a wide range of web applications, sites, portals, intranets and extranets…»
Le REPEX est une association québécoise que utilise TikiWiki comme CMS générateur de son site Web et d’espaces collaboratifs wikis pour les membres. En effet, un wiki est au départ un système de gestion de contenus qui peut être très «basique» comme dans le cas de PBWorks ou plus évolué comme XWiki ou SocialText mais ils ont tous en commun le fait que les niveaux de «workflow» et d’autorisations sont réduits à leur plus simple expression.
Pourquoi le wiki est-il moins glamour que le blogue ou le réseau social ? Peut-être parce qu’il fait un travail de terrain efficace. Celui de regrouper des équipes de travail, de générer des historiques de projet et de les archiver, qu’il permet de travailler sur un seul document au lieu de se perdre en versions, de réduire ainsi le nombre de courriels et comme pour TikiWiki ou XWiki, de remplacer les vieux et lourds CMS… Bref, des résultats concrets et quantifiables en termes de ROI.
6 Commentaires
Serait-ce l’axe de la boussole individuel-collectif qui cherche son point d’équilibre ?
Plutôt étonnant que vous abordiez ce sujet car c’est aussi un questionnement que j’avais récemment! Je recherchais un peu d’info supplémentaire pour un projet wiki et je suis tombée sur deux textes qui se posaient un peu cette même question “Est-ce que les wikis sont en train de mourir?” (http://www.thethinkingstick.com/are-wikis-dying et https://vinci.wordpress.com/2007/10/26/why-is-wikipedia-dying/)
J’ai trouvé leur question assez surprenante parce qu’ici, chez Opossum, la demande est très forte du côté des wikis d’entreprise et d’instances gouvernementales.
Selon moi, bien que les wikis soient un peu moins “jazzés” et “trendy” que les réseaux sociaux et cie, il n’y a pas une plateforme qui peut recréer l’ensemble de ses fonctionnalités. Même si on voit apparaître d’autres outils de collaboration sur le web comme Google Doc et Google Wave (projet abandonné d’ailleurs…), il n’y a rien qui pourra remplacer les wikis en ce qui concerne la gestion de connaissances dans les organisations.
Concernant la popularité, est-ce qu’il se pourrait que l’on entende moins parler des wikis organisationnels parce qu’ils sont souvent des portails privés alors que les réseaux sociaux sont, au contraire, ultra-publiques. Je ne sais pas…!
Merci beaucoup M. Malaison pour ce texte!
Je confirme une demande en forte croissance de la part des organisations québécoises à utiliser des wikis. On parle d’Intranet ou d’Extranet et si l’outil est performant en terme de permissions tel que TikiWiki cité dans l’article, on peut combiner Intranet et Extranet sur un même wiki. Il y a plusieurs exemples concrets au Québec à ce sujet.
Je pense que le wiki a un bel avenir devant lui et qu’il s’inscrit très bien dans les tendances de l’Open Innovation (http://fr.wikipedia.org/wiki/Innovation_ouverte) et de l’E-Gouvernement (http://fr.wikipedia.org/wiki/E-Gouvernement).
Quant à la boussole individuel-collectif, il est clair qu’il y a un gros travail à faire notamment au niveau des départements de RH. Pourquoi contribuer à un wiki si mon évaluation est faite sur une base individuelle?
Merci Claude pour ce bel article.
Très bonnes remarques Claude. Mais c’est normal qu’on ne parle pas beaucoup de wikis dans le grand public. Ce sont des outils de collaboration, et le grand public n’a pas réellement besoin de collaborer. Par contre dans l’entreprise on en a besoin. D’autre part c’est bien plus difficile de « collaborer » que de « converser ». C’est pour cela que même les entreprises qui démarrent dans le domaine préfèrent mettre en oeuvre des réseaux sociaux plutôt que de vrais outils de collaboration, même si c’est l’inverse qu’il faudrait faire pour réellement améliorer la productivité des entreprises. Je parlais d’ailleurs de ces phénomènes dans une chronique récente de Collaboratif-info : http://kmd.li/bzoChl.
De toute façon les wikis vont devenir peu à peu comme les outils de messagerie, des « commodités », dont on ne parlera même plus, mais dont les principes seront intégrés partout. D’ailleurs si on schématise, les trois seules fonctions importantes des wikis sont la création de page, les liens entre pages et la gestion du versionning. Et cela peut se mettre en place sur bien d’autres systèmes que des wikis (exemple de Google Docs ou de quelques CMS qui commencent – enfin – à implémenter ces fonctions).
Hello Claude.
Excellentes remarques et très bons liens.
Je vais fournir un autre son de cloche, complémentaire 🙂
Depuis 2 ans, mon activité s’oriente en majorité dans deux directions.
L’une consiste à aider le plus généralement les départements de com ou de marketing d’entreprises ou du secteur public à comprendre comment fonctionne Wikipedia (identification des sujets à aborder ou éviter, compréhension des techniques de mise en ligne des contenus et suivi des dits documents, règles à respecter etc.). A ce niveau, une première constatation, la plupart des départements de marketing/com avec lequels j’ai pu travailler n’ont aucune maitrise de l’outil wiki. Ils sont tous conscient de l’existence de l’outil, mais généralement ne l’ont jamais expérimenté eux-même.
Deuxième partie de mon activité, accompagner des entreprises à évoluer dans leur façon de travailler collaborativement. Et bien sûr, parler des solutions wikis. Bien entendu, mon expérience n’est pas à comparer à une étude complète des usages telle que peut le faire Jane Mc Connell. Il ne s’agit que de cas isolés. Mais tout de même…. j’observe que les trois études que tu as citées sont des études mixtes nord-américaines/européennes. Or il me semble évident qu’il existe une forte variabilité entre les pays, probablement due à une influence culturelle forte.
Selon l’étude 2010 de l’Observatoire de l’Intranet (90% des réponses de sociétés françaises), les wikis seraient utilisés dans 17% des entreprises françaises. En France, on retrouve surtout Confluence semble t-il…. espérons qu’xwiki gagne des parts de marché 🙂
La réalité que je vois sur le terrain est en effet qu’un nombre important d’entreprise ont *essayé* d’implémenter des wikis. Mais combien de fois, ais-je été approchée après une conférence pour m’entendre dire « nous avons essayé, mais ça ne marche pas du tout » ou « ca n’a pas décollé ». Quand on a l’opportunité de regarder dans le détail, on se rend souvent compte que le logiciel wiki a été détourné pour fonctionner comme un CMS, avec réintroduction poussive de fonctionnalités de workflows, ou procédures de gestion des droits d’accès fines. On se rend aussi compte que le wiki a souvent été mis en place au départ pour améliorer l’archivage plus que pour collaborer ensemble. Or, en ces temps d’accélération, le collaborateur n’a pas le temps, plus le temps de penser archivage et capitalisation. On lui installe donc un wiki en lui demandant d’y participer « en plus » de ses autres activités alors qu’il vaudrait mieux l’utiliser in-the-flow directement dans l’opérationnel.
Donc oui, il existe un wiki dans leur entreprise, le répondant à l’enquête peut témoigner que ‘oui, l’entreprise utilise les wikis », même si dans les faits…. le wiki est en effet constructivement utilisé par les développeurs ou quelques fans éclairés… mais absolument pas par les gens des métiers.
Les stats (17% d’adoption) me semblent assez faussées et ne réflétant pas le niveau d’usage et le degré de bénéfice. Peut être faudrait il ajouter une autre question du style « et… en êtes vous contents ? » 🙂
Tiens, sur une autre note…. je connais une université ayant récemment mis en place une très belle plateforme accessible à tous les membres de l’université et aux étudiants. Plateforme présentant entre autres un outil wiki (maison). J’aurais volontier imaginé un bel outil unique, ouvert à tous les profs et élèves, pour partager contenu, photos, questions, dans un joyeux fatras créatif. Quel bonheur !
Et bien non. Chaque prof peut ouvrir un wiki individuel pour chacun de ses cours. Wiki auquel n’aura accès que… le prof et les élèves. A moins qu’explicitement et assez péniblement, le prof n’ajoute d’autres profs au groupe de *son* wiki.
Il n’existe pas de wiki « central ». Le nombre de « wiki individuel » se compte sur les doigts d’une main. Et pour en avoir regardé 2, le contenu est exclusivement déposé par l’enseignant, avec zéro participation des apprenants.
Bon. Il ne faut pas se désoler de ses pauvres résultats. Les choses progressent bien évidemment. Beaucoup d’entreprises sont en train d’y réfléchir. Les wikis ne sont pas tombés dans l’oubli. En revanche, j’ai l’impression que pas mal d’entreprises s’y sont un peu brulé les ailes et évitent d’en parler.
Pour finir, j’aimerais bien voir dans les blogs francophones…. citer des exemples d’entreprises francophones ayant réussi à implémenter des wikis.
Je partage l’analyse de Miguel !