Le document publié récemment par le Cefrio sur les usages et meilleures pratiques en matière d’intranet au Québec traite de façon séparée de la collaboration et des outils du Web social. Confusion des genres ou geste volontaire ? Un peu des deux à mon avis. Les espaces collaboratifs ont toujours existé dans l’entreprise. De façon traditionnelle comme une salle de réunion où se rencontraient de façon transversale, plusieurs employé(e)s motivés à partager leur expertises et faire avancer en commun un projet.
Sauf que ces derniers avaient à leur disposition, des outils rudimentaires comme les tableaux avec crayons feutres, les blocs-notes, les documents Word, Excel ou PowerPoint en tant que retranscriptions partagées par courriel ou encore par échange direct de fichier. Dans le document du Cefrio, voici comment on définit la nouvelle collaboration :
«La collaboration en ligne au sein d’une organisation permet aux employés d’échanger de l’information, des connaissances et des documents, et de travailler ensemble sur des projets tout en se trouvant dans des lieux géographiques différents. Un des avantages de la collaboration par un intranet est le fait qu’on peut limiter les envois par courriel, lesquels sont bilatéraux et ne permettent pas à l’organisation de faire un suivi des conversations et des documents envoyés. Les intranets permettent d’enregistrer des documents qui seront ainsi disponibles à tous, voire d’archiver automatiquement les courriels dans des lieux de partage de documents.»
La nouvelle collaboration introduit, selon les auteurs, une notion de distance. Que les nouveaux outils présents dans l’intranet permettent de partager et d’innover à distance… Bon bravo pour le partage et l’innovation qui sont, en effet, des résultantes d’une meilleure collaboration et oui pour l’avantage de pouvoir collaborer tout en demeurant bien assis à son poste de travail. Mais là où j’ai plus de difficulté c’est quand on veut parler des nouveaux outils et de leurs usages.
Les espaces les plus courants selon eux sont les espaces projets et les groupes de travail (très souvent développés sur SharePoint) ou les espaces par service ou par direction. Les auteurs poursuivent et essayant de préciser les outils collaboratifs car espaces, c’est bien vague…
«Les espaces collaboratifs ne sont qu’une partie de la collaboration. Ils peuvent comprendre divers outils en ligne comme les logiciels de gestion de projet, les wikis, les blogues, les forums, etc., ou encore des espaces géographiques physiques (quoiqu’ils soient beaucoup plus rares au sein des organisations). Or, les outils collaboratifs en ligne englobent également des outils qu’on associe davantage à la communication et à l’échange de manière générale, tels que le courriel, la messagerie instantanée ou la vidéoconférence.»
Mais dites-moi…D’une part c’est quoi l’autre partie de la collaboration et pourquoi les outils identifiés ci-haut comme les wikis, forums et blogues se retrouvent-ils plus loin, dans le document à titre d’outils du Web social ?
Même dans le graphique ci-haut, les espaces de partage d’idées ou communautés innovantes, sont en fait les idéagoras, telles que définies par Don Tapscott et faisant clairement partie du Web social…
Ce grand flou artistique, entretenu depuis des années autour de la collaboration fait que bien des entreprises sont désenchantées des résultats des rares initiatives qui, à mon avis, sont faites sans vraie stratégie préalable, au petit bonheur la chance, sans grande compréhension des usages et surtout des efforts à consentir pour bâtir une communauté collaborative et ensuite l’animer, la faire vivre et prospérer pour qu’elle innove et donne les résultats probants…
Ce qui donne ce genre de résultats:
« Dans l’ensemble, 37 % des entreprises qui proposent des outils collaboratifs sur leur intranet n’en sont pas satisfaites, ce qui en fait le deuxième facteur d’insatisfaction après les médias sociaux (51 % d’entreprises insatisfaites).»
Ce qui fait que :
«Dans l’enquête, on observe que 54 % des entreprises ont dit avoir déployé peu ou pas d’espaces collaboratifs et ce, malgré l’ouverture des employés pour ces derniers.».
Trop d’entreprises se fient pour ces projets de transformation horizontale de la communication et du travail en équipe sur des personnes qui n’ont pas les compétences requises, que ce soit en technologies, en communication ou en ressources humaines. Ces personnes sont rarement formées aux nouveaux usages de la communication interactive et à la gestion de communautés virtuelles.
J’ai déjà vu, dans une organisation, un manuel sur les règles d’utilisation d’un wiki faire presque 200 pages !!! Par essence, la collaboration et les outils qui la permettent se doivent d’être agiles, faciles d’utilisation, avec le moins de règles possible mais avec un super bon encadrement et une volonté d’en faire des outils de mémoire pour l’entreprise. Pas pour rien que les auteurs constatent :
«On constate, par les études de cas et l’enquête réalisées, que si beaucoup d’organisations parlent de stimuler la collaboration sur l’intranet, peu y consacrent des efforts et celles qui le font en sont rarement satisfaites.» «Dans l’ensemble, seulement 21% des entreprises sont très satisfaites de leur intranet en général et les 2 aspects dont les entreprises sont les moins satisfaites sont les médias sociaux et les outils de collaboration».
Il y a dans ce dernier constat beaucoup à réfléchir pour les responsables de projets ou sites intranet. Ce tableau ci-dessous parle de lui-même. Les principales fonctions de l’intranet ont un fort taux d’insatisfaction (au-delà de 20%).
Ce n’est par rien: l’ergonomie, les applications disponibles, l’engin de recherche (un classique) mais surtout les trois derniers soit 1- la personnalisation, 2- la collaboration et 3- les médias et réseaux sociaux. Et le plus fort taux de satisfaction ? Vous avez sûrement remarqué : l’accès à distance et ce, malgré toutes les réticences des gens de la sécurité…
Donc, pourquoi cette insatisfaction marquée en ce qui a trait aux médias et réseaux sociaux ? Dommage pas de réponse dans le sondage du Cefrio, ou dans les meilleures pratiques… Tout au plus ce graphique qui fait état des principaux obstacles.
Et c’est peut-être pour cela qu’il y a tant d’insatisfaction. C’est peut-être le fait que les employés y sont ouverts mais sont bloqués par la direction qui n’y voit aucun avantage, aucun retour sur investissement. Pourquoi j’installerais un Facebook dans mon entreprise ? Vous les entendez ? Pour que les employés aillent y perdre leur temps ou déraper avec des critiques sur la gestion, l’entreprise ou même sur leurs confrères… Vous les entendez n’est-ce pas ? Nous sommes donc encore très loin des wikis, blogues et surtout réseaux socio-professionnels au sein des entreprises québécoises. (On verra dans le prochain billet le gouffre qui existe…)
En fait voici un tableau qui dresse le portrait actuel qui n’est pas très joli, si vous voulez mon avis.
Gouvernance et priorités
Deux derniers points avec de clore ce billet. Il serait malvenu de ma part de passer sous silence un autre point très important dans les meilleures pratiques soit la gouvernance de l’intranet et des réseaux socio-professionnels ou RSE.
Le sondage du Cefrio révèle que seulement 31 % des entreprises ayant un intranet ont mis en place une forme ou une autre de gouvernance. Pourtant, la gouvernance ne comprend pas que des règles d’utilisation ou des normes. C’est bien d’avoir des règles et des normes comme on le voit dans le tableau ci-dessous mais c’est encore mieux de pouvoir déterminer comment les créer et comment les faire appliquer.
La gouvernance est cruciale au bon fonctionnement de l’intranet et surtout à son évolution. C’est le qui fait quoi et avec quels moyens qui est en jeu ici. Pas la simple propriété, le vieux jeu de celui qui fait pipi le plus loin entre les départements de Ti (DSI) et les Communications, le bon vieux à qui appartient l’intranet… C’est la définition même de la structure de fonctionnement au quotidien, de la définition des priorités annuelles et tri-annuelles, en groupe et avec consensus de tous les acteurs, c’est la gestion des ressources : webmestres, édimestres, gestionnaires de communautés, employés-auteurs, etc.
C’est aussi la définition du partage de responsabilités en ce qui a trait à la gestion corporative, à la définition des grandes orientations, de la vision à moyen et long terme, à qui sera responsable d’approuver les budgets et les ressources nécessaires, à déterminer qui sera le champion au sein de la haute direction. La gouvernance c’est aussi former, éduquer car il est clair que dans l’entreprise comme dans la société, la littératie numérique n’est pas aussi répandue qu’on le voudrait…
Et en conclusion ? Un constat un peu plus réjouissant soit que 61% des entreprises et 75% des entreprises de 250 employés et plus ont l’intention de faire évoluer leur intranet au cours des 12 prochains mois. Mais on peut aussi le voir par l’autre bout de la lorgnette comme le fait ici le Cefrio :
«Un intranet n’est pas figé dans le temps. Pourtant, au vu des investissements de temps et d’argent nécessaires pour le mettre en place, une organisation pourrait être tentée de le laisser sous sa forme actuelle… jusqu’au point de rupture. D’ailleurs, 30 % des entreprises sondées ne prévoient aucune évolution de leur intranet pour les deux prochaines années.»
Et ils ont raison sur ce point. Les entreprises québécoises demeurent frileuses et ce depuis le crash de la Bulle techno en 2000. On attend le point de rupture pour agir, investir, améliorer, collaborer et innover. Et ce point de rupture est proche pour nombre d’entre elles. Triste…
2 Commentaires
Super article. Le passage sur la gouvernance m’a particulièrement allumée. Je vais te citer, avec référence bien sûr, lorsque je traiterais de la gouvernance et plus particulièrement le passage sur l’éducation à la « littératie numérique » qui est un élément rarement pris en considération dans une démarche de gouvernance numérique.
Merci Martine 😉