Le Journal de Montréal a publié jeudi un autre billet de blogue sur le «Bordel informatique» au Gouvernement du Québec, celui-ci sous la plume (ou le clavier) de Jean-Nicolas Blanchet. Ce dernier commence son billet ainsi :
«Les grands patrons informatiques du gouvernement déplient trois milliards de dollars par année…et admettent ne pas vraiment être capables de surveiller l’efficacité de ces dépenses.
Le constat peu rassurant est exposé dans le dernier chapitre du rapport de la Vérificatrice générale, Guylaine Leclerc ( Voir le chapitre 9 ). Il a été déposé mercredi.
Ce qu’il y a de nouveau et d’intéressant c’est que la Vérificatrice a fait un sondage auprès de ces patrons et ce sont donc eux qui font les constats et non la Vérificatrice . Le sondage révèle plusieurs failles en particulier en ce qui a trait à la surveillance, la gouvernance, le contrôle et identifie une grande faiblesse au sujet de laquelle j’ai souvent écrit des billets sur ce blogue..
Quel est ce mystérieux sujet? Je vous le donne en mille: L’INNOVATION.
«Dans un monde aussi innovateur que les technologies, les entités (gouvernementales autrement dit les CIO) évaluent que « l’innovation semble peu encouragée», lit-on dans le rapport.
Peu encouragée ? Ils y vont doucement avec le crayon… Pas encouragée du tout et souvent découragée. Voici d’ailleurs ce que j’écrivais en 2014 sur cette culture malsaine:
«Avis aux CIO: cessez d’obséder sécurité… Et rêvez plutôt collaboration et innovation ouverte ! Vous arrive-t-il de rêver à un monde idéal où votre entreprise et ceux et celles qui la dirigent seraient ouverts au changement et à l’innovation et mettraient tout en oeuvre pour dynamiser LA structure organisationnelle pour stimuler sa compétitivité et valoriser sa croissance ? Moi oui et comme dans tout bon rêve, s’amalgament une foule d’idées et de sujets épars pour en faire un tout cohérent.»
En fait trois idées se superposent dans ce rêve: l’innovation, la gouvernance et la sécurité. Ce sont des sujets très sensibles au gouvernement et dans les entreprises québécoises (et pour la Véfificatrice) mais je ne crois pas que ce soit un phénomène marginal. On en parle maintenant à mots découverts entre professionnels des communications, du marketing ou des ressources humaines responsables avec les Ti de la transformation numérque des organisations. Le sujet sera d’ailleurs le grand thème de la prochaine conférence eComMtl: L’innovation numérique!
La sécurité
Ah! Le fameux tabou dont personne n’ose parler…Pas la sécurité elle-même mais l’incompétence de plusieurs personnes qui travaillent dans les départements de Ti, l’obsession pour la sécurité de leurs gestionnaires jusqu’au plus haut de l’échelle (lire CIO) et l’immobilisme général qu’ils imposent aux gouvernements et aux entreprises.
C’est loin dans nos souvenirs mais tellement proche de l’actualité de 2017 que je ne pouvais pas passer à côté de cet exemple: lors du OpenWorldConference 2009 d’Oracle qui a eu lieu à San Francisco, Ann Livermore alors VP chez HP avait été très claire: 70% des budgets Ti vont aux opérations et à la maintenance des systèmes et seulement 30% à l’innovation. Ce qui a fait dire à certains participants que le chiffre de 30% était encore trop optimiste… Ces chiffres ont-ils changé en 2017 ?
Et Livermore a poursuivi en mentionnant que le crédo de HP dans les prochaines années serait la modernisation. Un peu comme nos gouvernements avec les infrastructures… On modernise mais on ne se risque pas à changer le modèle de développement. Donc les Ti consolident leurs acquis. Pas par le numérique mais bien par la rénovation de ce qui existe déjà… La modernisation des applications propriétaires et des infrastructures tout en offrant un petit bonbon, soit les services de virtualisation et d’infonuagique. Mais faut comprendre que HP vise à séduire les Ti traditionnels, le gros du marché chez les gouvernements comme dans les grandes entreprises et ainsi leur faire cracher bien des $$$ toujours en jouant sur la corde de la sécurité.
De 2013 à 2017, rien n’a changé… La sécurité trône toujours au sommet des préoccupations comme le mentionne Christipher Null dans un billet chez enterprise.nxt, un site bien connu des influenceurs : «Security is a perennial concern and must continue to be prioritized in 2017.»
Les responsables de la transformation numérique savent bien que leurs stratégies de croissance passent par les usages et outils de collaboration et d’innovation, pour la plupart issus de feu le Web 2.0 mais les Ti ne veulent souvent rien entendre surtout quand il est question d’intégrer un réseau d’innovation ouverte en «Open Source», Ô sacrilège… Certains disent qu’ils ne sont pas «prêts» à intégrer le Web point à la ligne et ce, dans une informatique tournée vers les processus d’affaires, les CRM, BPM, CMS. LMS et autres «M» 1.0 de ce monde….
«Security still remains the biggest threat to any size business adopting social collaboration. But what’s weird is that just 17% of companies say they have fully integrated social collaboration into their business, even though three-quarters have a dedicated social media team. Clearly, there is a lack of understanding on both the employee and employer side of how to handle our impulses—and our fears—to use social media as a tool to make working easier»
C’est ce qu’a écrit Denis Duvauchelle dans un article dans ReadWriteWeb au sujet de l’intégration des nouvelles technologies de collaboration dans les entreprises, une des facettes de la transformation numérique. Incompréhension des enjeux de la part des dirigeants, dont les CIO.
J’écrivais en août 2009 (ce n’est pas d’hier) :
«Nos entreprises se débattent encore avec leurs technologies vieillissantes et quand elles veulent les faire évoluer, se butent souvent à la résistance des départements TI qui, au lieu de générer l’innovation, comme ce fut jadis le cas, la freinent furieusement afin de conserver leurs prérogatives et leurs architectures si familières, si rassurantes mais pas si sécuritaires…».
C’est bien cela le principal problème des entreprises québécoises aussi bien dans leur systèmes internes que pour ceux qui s’adressent à leurs publics/partenaires externes: ils sont encore et toujours en retard sur celles des USA ou d’Europe. C’est que leur informatique ne suit pas, résiste, freine le changement. Les employés de ces départements sont mal formés ou pas du tout aux technologies du Web et surtout pas à ce qui se profile avec la virtualisation, l’intelligence artificielle, l’IoT, et etc. Et surtout leurs dirigeants (CIO) sont de la vieille école et c’est dommage car les Ti, auparavant, généraient le changement. C’était il y a bien des années…
Et le changement vient de la base…
Comme je le dis souvent en conférence et sur ce blogue, les employés poussent pour l’adoption en interne de leurs usages externes du Web en tant que consommateurs. Les Ti eux, ont les deux pieds sur le frein. C’est tellement typique d’organisations 1.0 où les technologies et les usages sont dictés par les Ti alors que la transformation numérique veut que ce soit les usagers qui les dictent. Et même chose pour les clients à l’externe. Ils forcent les entreprises à s’adapter ou à déposer leur bilan…
Regardez d’ailleurs ce dernier tableau qui porte sur les leaders de l’intégration des nouveaux outils technologiques dans les entreprises. Clairement et majoritairement c’est maintenant du bottom-up: les employés imposent les usages. Même chose à l’externe: ce sont les clients qui forcent le changement, donc forcent l’innovation.
La bonne gouvernance
La gouvernance est une des clés qui permet aux forces progressistes en entreprise de déverrouiller le cadenas installé par les Ti sur les stratégies d’innovation. La gouvernance implique un partage équitable des pouvoirs de décision et d’action en ce qui a trait à la mise en oeuvre d’une stratégie de transformation numérique d’entreprise et ce, entre plusieurs acteurs importants, habituellement, les Communications, les Ressources humaines, les Ti, une ou plusieurs unités d’affaires en tant que clients stratégiques (Qui sont en demande et ont les budgets) réunis pour la prise de décision dans un comité directeur (VPs et CIO) et pour le prise d’actions dans un comité de coordination.
Autrefois maîtres incontestés des stratégies et des outils, les Ti doivent comprendre qu’ils doivent partager leur pouvoir et leurs budgets, qu’ils doivent être au service de l’entreprise et non l’inverse. En ce sens, la création de comités de coordination est une absolue nécessité et quoiqu’en disent certains. Et il n’est pas essentiel que tout ce beau monde soit rompu à toutes les subtilités du numérique.
Peuvent se joindre à ces derniers des groupes aviseurs techniques et d’utilisateurs. Très important que les utilisateurs soient impliqués dans la gouvernance.
L’échelle des technographies sociales que j’utilise dans mon cours à l’UdM. comme en consultation
On dit souvent que l’équipe de transformation et celle qui gère le changement auront fait«une bonne job» s’il mobilisent le 20% du haut de l’échelle des technographies sociales dans la première année d’implantation d’une structure ou stratégie numérique.
Et dans une démarche de bonne gouvernance et d’innovation, les entreprises peuvent aussi avoir recours à des firmes de consultation. Mais attention aux chants des sirènes… Ne s’improvise pas spécialiste de la transformation numérique (ou eTransformation) qui veut…
L’innovation ouverte
Je vous ai souvent parlé des idéagoras et de leur potentiel innovant, beaucoup relié à la R&D des entreprises mais elles ont aussi leur utilité dans un processus de création de communautés dans les entreprises, dans la génération d’idées nouvelles pour générer et/ou aider à la transformation mais aussi dans la reconnaissance auprès des employés faisant preuve de créativité et d’initiative.
Donc, quand vous pensez gouvernance pensez que ce concept peut très bien se marier avec celui d’innovation. Bizarre car le premier fait appel à une certaine forme de contrôle alors que le second est présentement associé à la liberté créatrice, au CGU.
En 2013, à Bordeaux, j’ai été appelé à intervenir, dans la cadre de la Semaine Digitale, auprès de tous les CIO des grandes villes et collectivités locales de France ( voir ma présentation ICI). Comme écrit ci-haut, ce sont eux (et elles) qui historiquement bloquent l’innovation au nom de la sécurité. Nous étions à Bordeaux, donc en France… Je m’attendais à forte résistance.
Pourtant, loin d’être rébarbatifs ou prétentieux et imbus de leurs certitudes, plusieurs des CIO présents me sont revenus au petit déjeûner avec une foule de questions non pas sur le pourquoi mais bien sur le comment. Car la communauté informatique de l’Hexagone est beaucoup plus ouverte qu’on ne le croit. «Ouverte à l’Open» dans une perspective de eTransformation, une notion mise de l’avant par l’ami Michel Germain dans ses deux derniers ouvrages:
Management 3D : e-Manager à l’ère du numérique et d’Internet
De là, l’importance de sensibiliser nos propres CIO à ce fait et surtout de tenter de convaincre nos dirigeants économiques ou politiques de s’orienter vers oui, l’amélioration des infrastructures numériques mais aussi favoriser l’open source, l’innovation ouverte et viser la transformation numérique comme vecteur d’économies, de compétitivité, de croissance et surtout de génération de valeur. Et pour ce faire, créer de nouvelles grappes numériques sur lesquelles pourront se rattacher aussi bien les organisations établies que les jeunes pousses (start-ups) et pousser sur la formation et le développement en continu des compétences numériques ainsi que la gestion du changement !
1 commentaire
Bonjour,
Quelle est la limite de la transformation numérique? Je veux dire, l’IA en fait partie maintenant, le robotique aussi sans aucun doute. Donc où est la limite? Ou bien toutes les nouvelles technologies sont considérées comme transformation digitale?