La journée de jeudi à la conférence LeWeb11 s’est terminée sur les chapeaux de roues alors que vendredi, j’ai pris du recul et n’ai pas publié de billets du tout comme vous avez ou le constater. Pour cela, il y a plusieurs raisons. De un, pour aller voir ailleurs et aussi pour faire du «réseautage». Ce qui fait que j’ai accumulé une montagne d’infos qui vont me permettre de vous écrire une série de billets dont un bilan global mais je veux débuter presque par la fin.
Vendredi, j’ai requis une entrevue avec Phil Libin, CEO d’Evernote. Pourquoi ? Parce que j’ai écrit mercredi que Facebook en était arrivé avec l’aide de Microsoft à créer une «timeline», le première vraie initiative de LifeLog. Je m’excuse ci-devant car j’avais complètement oublié le travail acharné des gens d’Evernote et en particulier de Phil Libin. Le rendez-vous a été conclu en dernière minute mais l’effort valait cent fois les efforts déployés pour le rencontrer.
Photo par Caroline Bindner
Le CEO d’Evernote est venu à LeWeb cette année, en partie pour annoncer un partenariat stratégique avec Orange pour pénétrer le marché Européen. Orange qui se positionne de plus dans le marché des contenus pour appareils mobiles tels que la musique et la vidéo avec d’autres partenariats avec Deezer et DailyMotion. Mais je crois qu’Evernote vient donner à tous les utilisateurs d’Orange la possibilité de conserver, classifier toutes leurs interactions au fil des jours et des ans. Vous me voyez venir non ? Paul-François Fournier, VPE chez Orange, venu faire l’annonce, a parlé d’Evernote comme étant un produit addictif et multi-plateforme. Mais c’est surtout un produit de mémoire…
Comme le dit lui même Libin, Evernote a été créé «pour moi. J’ai de la difficulté à me souvenir des gens que je rencontre. Nous avons donc créé Evernote pour que trois choses se marient lors d’une première rencontre: la physionomie, l’endroit et le contexte». Lors de sa présentation, le jeudi matin, j’étais assis avec Benoit Descary, un utilisateur du produit depuis le tout début et c’est lui qui m’a fait prendre conscience de l’importance d’Evernote. J’ai été en ligne pour m’abonner pour m’apercevoir que je l’étais déjà !!!
Je suis un de ceux qui ne sont pas revenus après leur première visite mais là je comprends mieux où les gens d’Evernote veulent aller et Libin l’a clairement dit aussi bien sur scène que lors de notre rencontre privée :« Ce que nous voulons faire avec Evernote c’est le «next productivity software», Vous savez, la dernière évolution date d’il y a 30 ans et s’appelle Office et depuis ce temps, la suite n’a guère évolué pour prendre en compte es nouveaux usages du Web» Et vlan!
Après les questions de base pour mieux nous connaître, je lui ai demandé de un pourquoi le produit avait une si forte «addictivité» au Japon avec sept millions d’usagers dont beaucoup de très actifs. Et Libin de rétorquer:« Vous savez, c’est je crois une question de culture… Au Japon, les gens se préoccupent de la mémoire; de la mémoire des ancêtres, la mémoire collective, la mémoire des rites et même des objets. J’ai même vu quelque’un collectionner des emballages de papier».
Des carnets de vie pour les entreprises ?
Mais ce n’est pas au Japon qu’Evernote a le plus d’usagers. C’est plutôt aux USA, patrie de Libin (qui vit actuellement en Californie) qu’il y en a le plus soit neuf millions. Parlant de ces derniers, j’ai demandé à Libin de préciser sur la stratégie de croissance, sachant que la vision était de devenir la suite Office des années futures, en lui parlant entre autres du travail fait par Gordon Bell de Microsoft avec son projet MyLifeBits. Libin, bien sûr, connaît… «Vous savez, je suis un grand admirateur de Gordon et de ses travaux. Nous nous sommes déjà rencontrés et avons discuté longuement sur la capture des connaissances mais aussi des expériences de vie. C’est ce qui a été à la base de notre travail de développement».Donc, Bell a inspiré le travail des gens chez Evernote car les deux visent le même but. Créer les fameux LifeLogs.
Théoriquement c’est quoi un LifeLog ? «C’est de capturer, stocker et rendre accessible tout le bagage et l’expérience de vie d’une personne ainsi que ses interactions avec le monde afin de nourrir des agents intelligents et autres potentialités d’un système global d’agrégation de données». Pour compiler les immenses bases de données nécessaires et ainsi créer un «Carnet de vie», le système suit systématiquement toutes les activités électroniques de l’individu, des transactions par carte de crédit aux courriels en passant les appels cellulaires, le sites Web visités, les déplacements enregistrés par sondes GPS, les dossiers médicaux, les données biométriques, etc.
Plusieurs parlent de Big Brother mais Libin préfère voir le côté positif de la chose, surtout pour les entreprises. «Imaginez être capable de capturer les savoirs tacites et explicites d’un employé tout au long de son passage en entreprise. Ça devient un outil extraordinaire de productivité. Nous à Evernote, on veut se situer dans ce créneau de productivité. Aider les gens et les entreprises au lieu de simplement offrir un autre outil de divertissement». En effet, imaginez Evernote en entreprise, capturant toutes les interactions professionnelles: rien ne se perd quand il quitte après cinq ou dix ans car maintenant prendre sa retraite après 25-30 ans de service est devenu une rareté… Donc, lentement mais surement les entreprises sont en train de perdre leur mémoire collective dont dépend leur survie et surtout leur croissance car il n’y a pas que l’innovation qui prime.
Photo par Caroline Bindner
La question suivante allait donc de soi. Et l’entreprise alors, visez-vous le marché lucratif des millions d’entreprises en train de devenir Alzheimer ? La réponse a été positive «Oui, nous allons bientôt structurer notre offre pour les entreprises. C’est un peu ce que j’ai dit plus tôt ce matin quand je parlais de redéfinir les outils pour les travailleurs du savoir modernes». Evernote a l’ambition de non seulement capturer nos fils de vie professionnelle et de les rendre facilement accessibles sur plates-formes fixes ou mobiles mais de faire le lien entre les outils de travail quotidien et l’immatérialité de l’entreposage de toutes nos interactions avec ces produits dans le nuage (Cloud computing).
J’ai conclu notre rencontre en demandant au CEO d’Evernote s’il serait intéressé à être un des conférenciers invités dans le cadre des prochains webcom-Montréal et Boule de cristal au mois de mai 2012, surtout que Gordon Bell y a aussi été invité. La réponse a été très positive et reste à être formellement confirmée mais vous vous imaginez, avoir sur la même scène le mentor et l’élève ? Un des premiers à avoir pensé le principe des LifeLogs et celui qui l’a fait atterrir dans la réalité ? Comme disent nos Voisins du Sud, «AWESOME!».
En terminant, quelques notes sur Evernote justement. Evernote c’est actuellement 20 millions d’utilisateurs dont 750 000 payants et qui paient 5$ par mois ou 45$ par année ce qui n’est pas cher payé à mon avis. C’est aussi six applications mobiles dont deux lancées à LeWeb11. Les applications ne sont pas seulement développées pour iPhone mais pour toutes les plates-formes, dont Android et Windows Phone 7. Et il y en a une qui s’en vient, développée au départ sur Android qui risque de faire un malheur dans le monde de la collaboration. Nom de l’application «Skitch». Les plus grandes inventions ou idées d’entreprises ou de projets sont souvent écrites à plusieurs sur un napperon de restaurant. Skitch c’est un peu ça mais avec une tablette électronique.
En passant je trouve singulière la stratégie de Libin au sujet des applications mobiles. Il explique qu’il préfère des applications qui vivent par elles-mêmes sur Internet et qui soient simples à utiliser en mobile mais qui peuvent être agrégées sur la plate-forme Web disponible sur nos ordinateurs portables ou fixes, ce qu’il qualifie de «unified experience». Autre note importante: Evernote a été nommée l’entreprise de l’année 2011 par la revue américaine Inc. Magazine. (Cliquez sur l’image du magazine ci-dessous pour lire l’article)
En terminant, je voulais vous laisser sur ces paroles que Phil a dites en entrevue aussi bien avec Loïc qu’avec moi : «Nous demandons à nos usagers comme aux entreprises de nous confier l’agrégation leurs vies entières afin qu’ils soient en mesure de mieux les gérer donc si nous à Evernote voulons être leur mémoire de vie, nous avons besoin de leur confiance donc nous nous devons d’être transparents et rendre la pareille avec nos utilisateurs». Et dans son entrevue avec Loïc, il a aussi dit à propos de son partenariat avec Orange qu’il voulait être the «100 years company». J’espère que l’entreprise vivra encore plus longtemps. Il en va de notre mémoire.