Gestion des organisations LifeLogs

L’entreprise perd la mémoire… Le remède: les carnets de vie ?

15 mars 2013

NDRL: Toujours en vue de la publication prochaine de mon nouveau livre sur la mémoire d’entreprise™ , je fusionne et actualise ci-dessous deux billets commis il y a quelques années déjà et qui sont référencés ci-dessous dans les billets relatifs. Mais vous verrez, le tout est criant d’actualité et annonce de grands bouleversements dans notre façon de consommer le Web, aussi bien dans notre vie de tous les jours que dans notre travail en entreprise.

En conclusion de mon dernier billet, j’ai mis la table pour  traiter des LifeLogs, de conservation de cette mémoire, donc comment bien documenter les savoirs corporatifs. C’est bien beau de parler aux hauts dirigeants de leur devoir de mémoire, de leur responsabilité de legs corporatif mais pour ce faire, il faut une stratégie.

Comme je l’ai déjà écrit sur ce blogue cette stratégie se déploie en 10 points. Dix points qui se déclinent ainsi :

mémoire

Vous remarquez qu’au point 9, je traite de curation mais aussi et surtout de LifeLogs ou si vous préférez, de carnets de vie… Je croyais bien qu’au fil d’arrivée, ce serait le site Twine qui concrétiserait le rêve de Gordon Bell de Microsoft. Quel rêve ? Celui de créer ces  carnets du vie car il faut bien que le blogue, pièce maîtresse du Web 2.0 ait des descendants dans le Web 3.0 ou même 4.0… Sur ce concept j’ai beaucoup écrit sur ce blogue allant même à en faire une catégorie particulière. Mais je ne m’attendais certainement pas à ce que ce soit quelqu’un d’autre qui réalise l’exploit.

Mais bon… Avant d’élucider le mystère, laissez-moi vous expliquer un peu le concept des carnets de vie à la façon du fondateur de Twine, un p’tit vite nommé Nova Spivack. Bref, Spivack et sa compagnie d’alors, Radar Networks, ont mis en place la technologie nécessaire pour créer, dans un premier temps, un «organisateur personnel de données»… Vous pourriez ainsi accumuler courriels, contacts, photos, vidéos, musique, etc. Tout ce qui est numérique, en fait, les transformer en format RDF (Resource Description Framework) et y accéder d’un seul endroit… J’ai déjà écrit que Google et surtout Microsoft travaillaient sur la question mais que Radar Networks avait une longueur d’avance, même si Microsoft a commencé à s’y intéresser bien avant avec son projet MyLifeBits, sorti tout droit de l’imagination de Gordon Bell.

Le concept selon Bell

Imaginez… Pouvoir emmagasiner toute une vie d’articles, de livres, de cartes, de CD, de lettres, de courriels, de mémos, de rapports, de photos, d’images, de présentations, de films, de bandes vidéos, de DVD, d’émissions télé, de revues de presse, de conférences Power Point, de podcasts, d’enregistrements audio, de conversations téléphoniques, mémos, rapports, compte-rendus de réunions, wikis de projets, etc. et tout cela emmagasiné et numérisé dans une base de données unique avec recherche intégrée. Des vrais carnets de vie, qu’elle soit personnelle ou en entreprise. Toute l’expertise capturée au jour le jour, classée et surtout récupérable, les anglais disent «retrievable».

Bref, cette longueur d’avance que Twine possédait s’est évanouie et je soupçonne Microsoft d’avoir aidé nul autre que Facebook à réaliser ce grand pas en avant. En effet, cela s’est passé la semaine dernière à la conférence f8 lorsque Mark Zuckerberg est venu faire l’annonce de plusieurs nouveautés censées améliorer l’expérience utilisateur des quelque 750 millions de membres d’alors et ainsi les fidéliser un peu plus face à la concurrence croissante de Google+.

Lors de ces annonces, j’ai tiqué une première fois sur le texte commis par Jon Mitchell de ReadWriteWeb et qui va comme suit pour le titre et le lead:

Facebook’s Open Graph Is About Curating Your Life

In Facebook’s f8 keynote today, CEO Mark Zuckerberg introduced two new classes of applications for the Facebook platform. In addition to communications apps and games, Facebook will support media and lifestyle apps.

The change is designed to feed into Facebook’s « Open Graph » of user information, which has been rearranged to suit two new purposes: Filling out the user Timeline – Facebook’s new way of displaying every user’s curated life stream – and discovering new things with friends.

Mitchel joint dans son titre deux concepts différents mais somme toute complémentaires pour la réalisation des LifeLogs: la curation des contenus et le lifestream. Donc, pour lui, Facebook offre à ses membres la possibilité d’organiser leur vie en utilisant une des nouveautés d’alors: la Timeline. Depuis, elle nous est devenue familière…

facezuck

Photo AFP

Et là où j’ai eu la confirmation qu’on arrivait à bon port c’est quand j’ai lu le texte de Marie-Ève Morasse dans Technaute-Cyberpresse sur le même sujet. Un autre titre et un lead qui en disent beaucoup:

Facebook veut raconter la vie de ses membres

Facebook ne se contentera plus de relater ce que ses membres font en temps réel. Le géant du réseautage social propose maintenant d’héberger leur biographie numérique. D’ici quelques semaines, les membres de Facebook découvriront un profil complètement redessiné dont l’objectif est de «raconter l’histoire de sa vie sur une seule page», a dévoilé jeudi le jeune PDG de l’entreprise, Mark Zuckerberg, dans le cadre de la conférence F8 destinée aux développeurs. Avec l’outil «Timeline», les internautes pourront désormais remonter dans le temps et archiver des pans de leur vie.

Voilà, nous y sommes… Archiver des pans de notre vie… Et oui, je vois poindre derrière les critiques qui vont dire que Big Brother est à nos portes mais je préfère voir le bon côté des choses. Comme le dit Zuckerberg :«Vous avez le contrôle total sur tout ce que vous publiez. Vous avez également le contrôle sur les paramètres de vie privée de ces éléments». Individus comme entreprises auront dorénavant la possibilité d’archiver leur vie complète. Imaginez! Pour les individus ça veut dire pouvoir faire un testament numérique qui ne comprend pas uniquement les mots de passe de notre identité numérique mais bien toute cette identité qui peut ensuite être léguée aux proches.

L’alternative au mentorat traditionnel ?

Et pour les entreprises, ça veut dire la possibilité enfin de créer, d’organiser, de communiquer, de recouvrer, d’entreposer, de rechercher et de transmettre ce que j’appelle la mémoire d’entreprise™.  (Les 10 points élaborés plus haut) Toute l’expertise et le savoir accumulés par les employés ou collaborateurs pendant leur entier séjour maintenant disponible, organisé et transmissible aux générations suivantes !Vous vous souvenez, dans le billet précédent quand j’écris sur les retraités qui partent et que derrière on efface tout ? Mais surtout que le mentorat traditionnel ne fonctionne plus, du moins certains méthodes comme celle déployés  chez Fluor.

Déployer une stratégie de mentorat sur plusieurs année n’est plus viable car les jeunes générations ne restent plus 25, 30 ou 35 ans dans les entreprises. En plus d’être des natifs du numérique, ils sont des nomades du travail. Ils resteront cinq ans, des fois moins. Comment alors déployer une stratégie de capture et de transmission de l’expertise en forme mentorat ? Et surtout, comment capturer rapidement l’expertise que ces jeunes développent mais gardent et transportent avec eux ailleurs ? Réponse : les LifeLogs… Ces derniers captureront tout, que ce soit sur six mois, sur cinq ans comme sur 30

Donc, avec l’apparition  de la Timeline de Facebook et Mark Zuckerberg, sommes-nous prêts à transposer en entreprise ? C’est le but que poursuivait M. Bell. Ce dernier me l’a confirmé lors d’une conversation à l’occasion de sa visite à Montréal l’an dernier dans le cadre de la conférence Boule de Cristal . Mais aussi bien Spivack, Bell et Zuckerberg ont été pris de vitesse par un autre joueur sur le marché.

À la conférence LeWeb en décembre 2011 j’ai requis une entrevue avec Phil Libin, CEO d’Evernote. Pourquoi ? Parce que j’ai souvent dit et écrit ci-haut que Facebook en était arrivé avec l’aide de Microsoft à créer une «timeline», le première vraie initiative de LifeLog. Mais il ne faut pas oublier le travail acharné des gens d’Evernote et en particulier de Phil Libin.

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Photo par Caroline Bindner

Le CEO d’Evernote est venu à LeWeb en 2011, en partie pour annoncer un partenariat stratégique avec Orange pour pénétrer le marché Européen. Orange qui se positionne de plus dans le marché des contenus pour appareils mobiles tels que la musique et la vidéo avec d’autres partenariats avec Deezer et DailyMotion. Mais je crois qu’Evernote vient donner  à tous les utilisateurs d’Orange la possibilité de conserver, classifier toutes leurs interactions au fil des jours et des ans. Vous me voyez venir non ? Paul-François Fournier, VPE chez Orange, venu en faire l’annonce, a parlé d’Evernote comme étant un produit addictif et multi-plateforme. Mais c’est surtout un produit de mémoire…

Comme le dit lui même Libin, Evernote a été créé «pour moi. J’ai de la difficulté à me souvenir des gens que je rencontre. Nous avons donc créé Evernote pour que trois choses se marient lors d’une première rencontre: la physionomie, l’endroit et le contexte». Lors de sa présentation, le jeudi matin, j’étais assis avec Benoit Descary, un utilisateur du produit depuis le tout début et c’est lui qui m’a fait prendre conscience de l’importance d’Evernote. J’ai été en ligne pour m’abonner pour m’apercevoir que je l’étais déjà !!!

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Je suis un de ceux qui ne sont pas revenus après leur première visite mais là je comprends mieux où les gens d’Evernote veulent aller et Libin l’a clairement dit aussi bien sur scène que lors de notre rencontre privée :« Ce que nous voulons faire avec Evernote c’est le «next productivity software», Vous savez, la dernière évolution date d’il y a 30 ans et s’appelle Office et depuis ce temps, la suite n’a guère évolué pour prendre en compte es nouveaux usages du Web» Et vlan!

Après les questions de base pour mieux nous connaître, je lui ai demandé de un pourquoi le produit avait une si forte «addictivité» au Japon avec sept millions d’usagers dont beaucoup de très actifs. Et Libin de rétorquer:« Vous savez, c’est je crois une question de culture… Au Japon, les gens se préoccupent de la mémoire; de la mémoire des ancêtres, la mémoire collective, la mémoire des rites et même des objets. J’ai même vu quelque’un collectionner des emballages de papier».

Des carnets de vie pour les entreprises ?

Mais ce n’est pas au Japon qu’Evernote a le plus d’usagers. C’est plutôt aux USA, patrie de Libin (qui vit actuellement en Californie) qu’il y en a le plus soit neuf millions. Parlant de ces derniers, j’ai demandé à Libin de préciser sur la stratégie de croissance, sachant que la vision était de devenir la suite Office des années futures, en lui parlant entre autres du travail fait par Gordon Bell de Microsoft avec son projet MyLifeBits. Libin, bien sûr, connaît… «Vous savez, je suis un grand admirateur de Gordon et de ses travaux. Nous nous sommes déjà rencontrés et avons discuté longuement sur la capture des connaissances mais aussi des expériences de vie. C’est ce qui a été à la base de notre travail de développement».Donc, Bell a inspiré le travail des gens chez Evernote car les deux visent le même but. Créer les fameux LifeLogs.

Plusieurs parlent de Big Brother mais Libin préfère voir le côté positif de la chose, surtout pour les entreprises. «Imaginez être capable de capturer les savoirs tacites et explicites d’un employé tout au long de son passage en entreprise. Ça devient un outil extraordinaire de productivité. Nous à Evernote, on veut se situer dans ce créneau de productivité. Aider les gens et les entreprises au lieu de simplement offrir un autre outil de divertissement». En effet, imaginez Evernote en entreprise, capturant toutes les interactions professionnelles: rien ne se perd quand il quitte après cinq ou dix ans car maintenant prendre sa retraite après 25-30 ans de service est devenu une rareté… Donc, lentement mais surement les entreprises sont en train de perdre leur mémoire collective dont dépend leur survie et surtout leur croissance car il n’y a pas que l’innovation qui prime.

Photo par Caroline Bindner
Photo par Caroline Bindner

La question suivante allait donc de soi. Et l’entreprise alors, visez-vous le marché lucratif des millions d’entreprises en train de devenir Alzheimer ? La réponse a été positive «Oui, nous allons bientôt structurer notre offre pour les entreprises. C’est un peu ce que j’ai dit plus tôt ce matin quand je parlais de redéfinir les outils pour les travailleurs du savoir modernes». Evernote a l’ambition de non seulement capturer nos fils de vie professionnelle et de les rendre facilement accessibles sur plates-formes fixes ou mobiles mais de faire le lien entre les outils de travail quotidien et l’immatérialité de l’entreposage de toutes nos interactions avec ces produits dans le nuage (Cloud computing).

M. Libin a tenu parole car l’année suivante soit en décembre 2012, il en a remis une couche à LeWeb en venant présenter le nouveau produit, simplement nommé : Evernote Business, qui vise rien de moins que de remplacer les intranets et les wikis en entreprise. Voici son entrevue avec Loîc LeMeur:

En terminant, je voulais vous laisser sur ces paroles que Phil a dites en entrevue aussi bien avec Loïc qu’avec moi : «Nous demandons à nos usagers comme aux entreprises de nous confier l’agrégation leurs vies entières afin qu’ils soient en mesure de mieux les gérer donc si nous à Evernote voulons être leur mémoire de vie, nous avons besoin de leur confiance donc nous nous devons d’être transparents et rendre la pareille avec nos utilisateurs». Et dans son entrevue avec Loïc, il a aussi dit à propos de son partenariat avec Orange qu’il voulait être the «100 years company». J’espère que l’entreprise vivra encore plus longtemps. Il en va de notre mémoire.

Et vous imaginez si on en arrive à implanter cette stratégie en entreprise ? Vous imaginez la MONTAGNE de données qui seront ainsi générées et qu’il faudra entreposer et gérer. Prochain billet : Big Data et entrepôts de données.

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