Comme c’est le cas pour l’ami Mario Asselin, notre démarche qui permet de réactiver un processus qui pourrait permettre l’émergence d’un Plan numérique pour le Québec ma plaît beaucoup. Mais il n’y aura pas de plan ni même de future société québécoise basée sur le numérique si on ne relève pas à mon avis deux grands défis auxquels font face les entreprises et ensuite leurs employés.
D’une part, il faut que nous cessions de penser que le développement économique du Québec passe nécessairement par l’exploitation de ses ressources naturelles. Nous ferions beaucoup mieux collectivement si on alignait ce développement vers les nouvelles technologies et entreprises numériques, vers l’exploitation du savoir et non plus seulement de l’avoir.
Les entreprises
Au lieu de cela, on parlait encore jusqu’à tout dernièrement de développer les ressources naturelles comme on le faisait dans les années 50 ou 60. Brader nos ressources pour que d’autres en fassent des produits et des profits de la nouvelle économie ?
Quel poids aura le Québec face à des géants comme les USA, l’Europe, la Chine, l’Inde, la Russie ou le Brésil ? Pourtant, le Québec occupe une position stratégique, des créneaux que nous pourrions occuper si nous ne dormions pas collectivement au gaz comme c’est le cas présentement.
Géographiquement le Québec occupe, d’une part, une place stratégique pour la transmission de données par fibre optique. Il est sur le chemin le plus court pour relier l’Europe et la Chine, donc en mesure de profiter des retombées potentielles de l’installation d’une autoroute à méga-débit, un peu comme le PC1-Cable (PC pour Pacific Crossing et à 640 Gigabits/seconde) qui relie actuellement le réseau WIDE Internet (Widely Integrated Distributed Environment) au Japon au réseau américain Abilene (Advanced Networking for Learning-edge Research and Education) du projet nommé ambitieusement Internet2.
Quand on construit une autoroute, qu’arrive-t-il habituellement ? Eh bien les entreprises ont tendance à s’installer pas très loin afin de profiter les facilités de transport qu’elle offre. C’était aussi le cas avant avec le rail et même pour la navigation. Les entreprises se sont toujours installées là où on pouvait faciliter le transport de leurs produits.
Et quels sont les produits des nouvelles entreprises de l’économie numérique ? Le savoir basé sur les données. Des données qu’il faut transmettre, bien sûr mais aussi mais aussi gérer, exploiter et visualiser grâce à l’infonuagique mais aussi entreposer.
Lors de l’un de mes passages à San Francisco, pour la conférence Web 2.0 Expo, j’avais relaté l’entrevue entre Tim O’Reilly et Jonathan Schwartz, alors président et CEO de Sun Microsystems, dont voici un extrait : «Ce qu’il veut dire par entrepôts-containers, c’est que Sun, Google et les autres doivent penser à des entrepôts mobiles, qui peuvent suivre les sources d’énergie. Encore plus intéressant, il en est arrivé à parler des entrepôts situés dans des endroits où on réchauffe les équipements au lieu de les climatiser. De l’antigel au lieu de l’air climatisé… Et aussi en arriver à les automatiser complètement. Un peu comme les postes et les centrales hydroélectriques qui sont opérés à distance… En ce sens, certains joueurs comme Microsoft planifient l’installation d’entrepôts en Sibérie…»
Vous voyez les opportunités ici, entre autres, pour l’économie québécoise ? En effet, le Québec est un pays nordique et théoriquement assez froid. Il a une source inépuisable d’énergie : l’eau. Et il a des infrastructures industrielles à recycler dont des alumineries, idéales pour installer des méga-entrepôts de données puisque déjà équipées de l’infrastructure de transformation électrique. Vous imaginez pour l’économie de Shawinnigan ? Ou de Jonquière, de Baie-Comeau ou de Beauharnois ? Quatre régions, même combat… Le gouvernement et l’entreprise privée devraient comprendre et se concerter pour exploiter ce nouvel atout…
Il est clair que le gouvernement du Québec n’a pas compris car il a justement refusé la permission à Google de venir installer de tels équipements au Québec… Il y a des sous-ministres qui pensent plus à ne pas faire de vagues jusqu’à leur retraite plutôt qu’à prendre des risques pour assurer le développement économique et technologique du Québec et ainsi assurer notre compétitivité sur la scène mondiale où se joue actuellement le grand positionnement technologique, la guerre pour le contrôle des données ou «Data War» dont je parle souvent…
Il n’ont pas compris que l’installation de méga-entrepôts de données, même s’ils ne créent que peu d’emploi à long terme créent par contre un environnement favorable à l’installation à proximité d’une foule d’entreprises de haute technologie ayant besoin de deux commodités essentielles fournies ailleurs aux entrepôts de Google, d’Amazon ou de Microsoft: l’énergie et la bande passante. Les entrepôts de données pourraient donc servir de fondements à des pôles numériques comme il n’y a pas si longtemps on parlait de grappes industrielles…
Pour mettre en place un véritable Plan Nord technologique et non pas minier, le Québec pourrait tout de même tabler sur ses atouts traditionnels : sa situation géographique et son climat, ses ressources naturelles, pas les mines mais l’eau, l’hydroélectricité et aussi la créativité de l’ensemble de sa population qui l’a longtemps placé au-devant de l’industrie du numérique, tant dans les entreprises du Web 1.0 avant l’éclatement de la Bulle, que maintenant avec l’industrie du jeu, celle du eCommerce et du Web 2.0. Avoir sur son territoire, à la fois les meilleurs réseaux, disponibles à meilleur coût et les entrepôts qui feront partie du «Nuage Internet» est essentiel à notre développement en tant que société et il est urgent d’agir.
Il est urgent de favoriser l’éclosion des entreprises du savoir numérique et les aider à tirer leur épingle du jeu. D’autres gouvernements le font (Australie, Estonie, Malaisie, etc.) et offrent ces conditions aux entreprises en plus de déployer des initiatives citoyennes et gouvernementales. Alors pourquoi pas ici ? Le gouvernement doit favoriser la mise en place d’incubateurs numériques et pour ce faire doit forcer les «carriers» à grossir leurs pipelines pour accélérer les vitesses de transmission de données. Mais aussi de permettre aux gros comme Google de venir s’installer au Québec avec leurs entrepôts de données.
Le gouvernement doit mettre en place les conditions gagnantes mais c’est aux entreprises de créer la richesse numérique reliée aux données et au savoir mais pour cela, il faut travailler ensemble. C’est un autre défi quand on constate les silos d’activité dans les différentes pratiques (TIC, Web, comm interactives) et jusque dans les structures de projets (problèmes de gouvernance). En effet, les entreprises et les principaux joueurs du numérique ne se parlent pas entre eux ou si peu… Force est de constater qu’au Québec, en matière d’entreprises numériques, il y a aussi et toujours deux solitudes. Un fossé encore bien profond entre entreprises francophones et anglophones. Donc, pour réussir, le MILIEU doit se regrouper, s’unir afin de pousser dans la même direction.
Ce qui a donné le projet de la maison Notman, (ci-dessus) le premier projet numérique qui vise à rapprocher l’est et l’ouest de la Rue St-Laurent. En fait, cela fait près d’un an que la Maison Notman est en validation de concept. Au cours de cette année, la Maison Notman a accueilli 125 évènements, incluant des rencontres de groupes d’utilisateurs, des hackathons ainsi que de nombreux évènements éducatifs. La Maison, qui a abrité plus de 50 startups, a été visitée par plus de 10 000 entrepreneurs, investisseurs, étudiants et autres membres de la communauté qui veulent faire avancer Montréal sur la scène technologique. La viabilité du projet a été clairement démontrée et donne un aperçu ce de que la Maison Notman peut offrir à la communauté Montréalaise.
Et le financement de ce projet montre bien comment les gouvernements et le secteur privé peuvent unir leurs efforts : la fondation OSMO a reçu un engagement financier de 1.7M$ offert en conjonction par les gouvernements des trois paliers: municipal, provincial et fédéral. Suite à ce premier appui, Investissement Québec et la BDC ont à leur tour garanti un emprunt de 4.3M$. Mais pour avoir accès à ces fonds, la fondation devait lever 1.1M$ en contributions privées. 1M$ a déjà été promis par des entités privées tel que Teralys Capital, Claridge, Telesystem, McCarthy Tetrault, et Fasken Martineau. Il ne restait plus qu’à lever 100 000$ pour faire de ce rêve une réalité. La fondation s’est donc tournée vers la communauté numérique pour l’aider à faire ce dernier pas.
Cette dernière a répondu avec enthousiasme, à coups de 25$, 50$ ou 100$, amassant plus que l’objectif soit 105 489$ avec encore 29 heures à faire à la campagne publique.
Les employés
D’un autre côté, on verra coexister en entreprise au cours des prochaines années quatre générations différentes d’employés et en 2015, l’arrivée d’une cinquième, une tendance lourde… Eh oui, fallait bien que je traite aussi de l’entreprise 2.0. Donc, finie l’utopie de la retraite à 55 ans ! Fini aussi l’illusion que les générations Y et NetGen allaient balayer les BabyBoomers et leurs prédécesseurs.
Le Harvard Business Review a ainsi relevé les cinq générations qui devraient se côtoyer dans les entreprises:
- Traditionalistes, nés avant 1946
- Baby Boomers, nés entre 1946 et 1964
- Gen X, nés entre 1965 et 1976
- Millennials (Gen Y), nés entre 1977 et 1997
- Gen 2020 (Gen C ou encore NetGen), nés après 1997
Un peu tiré par les cheveux pour la première et la dernière, vous dites? Regardez bien ce diagramme publié avec le HBR:
Les projections ici voient une décroissance constante des BabyBoomers. Rien de moins certain. Beaucoup d’entre eux reviennent au travail, leur revenu de retraite se révélant insuffisant alors que dans bien d’autres cas, c’est la caisse de retraite de l’entreprise qui est épuisée ou réutilisée à d’autres fins.
Bien des gouvernements sont en train de revoir leur politique de gestion des fonds publics de retraite et songent à mettre en place, comme en France, des incitatifs pour les entreprises visant à récupérer les savoirs de leurs retraités ou d’autres pour les garder au travail plus longtemps. Dans une nouvelle économie numérique, le Québec au travail (employeurs et employés) devra tenir compte lui aussi de ce phénomène et c’est là le second défi: favoriser le développement de la mémoire et du savoir numérique des entreprises. D’ailleurs, le HBR note:
«In 1986, when the youngest Baby Boomers entered the workforce, the percentage of knowledge necessary to retain in your mind to perform well on the job was about 75 percent (according to research by Robert Kelley). For the other 25 percent, you accessed documentation, usually by looking something up in a manual. In 2009, only about 10 percent of knowledge necessary to perform well on the job is retained — meaning a myriad of other sources must be relied upon.»
Pour 90% des savoirs et des expertises nécessaires pour bien accomplir son travail, il faut avoir recours à d’autre chose que sa propre mémoire. De là l’importance de créer la mémoire d’entreprise™ et les retraités ont un rôle important à jouer dans cette construction. Et pour ce faire, je donne toujours l’exemple de la plateforme YourEncore qui est le lieu de rencontre des entreprises à la recherche d’expertise et de solutions potentielles à des problèmes en faisant appel aux membres de la communauté des retraités. C’est du pur « crowdsourcing » et un bon moyen pour les entreprises d’aller puiser à peu de frais dans le formidable bagage d’expertise que détiennent les membres de cette communauté.
Imaginez que les entreprises, au lieu de perdre l’expertise de leurs employés qui partent ou sont à la retraite, puissent mettre en place de telles plate-formes et ainsi garder le lien avec ces derniers. Un lien permettant d’avoir recours à leur expertise contre rétribution, comme c’est le cas pour YourEncore. Bien mieux ainsi que de laisser cette expertise aller à ses concurrents non ?
Et que dire aussi de la possibilité pour les départements de communication et des RH de garder un lien beaucoup plus fort maintenant que le journal interne papier n’est plus (ou presque). Cet enjeu de l’expertise et des savoirs des retraités va devenir, à mon avis, un enjeu majeur au cours des prochaines années et doit être pris en compte par un possible plan numérique. Qu’on se le dise: d’un côté, les sociétés occidentales, incluant le Québec, vont perdre entre 30 et 50% de leur employés d’ici cinq ans. De l’autre, les nouvelles générations n’ont pas le nombre suffisant pour combler cet immense trou de main-d’oeuvre et d’expertise.
Que va-t-il se passer alors ? Les entreprises devraient être pro-actives et mettre à profit des solutions comme les idéagoras pour retraités, sinon le gouvernement aura à leur forcer la main avec des législations de soutien car c’est là l’autre partie de l’équation. Avec le nombre croissant de retraités, les régimes de retraite d’entreprise, lourdement taxés par la récente crise et les caisses publiques risquent de manquer de fonds.
De plus, les retraités eux-mêmes sont de plus en plus nombreux, après la dolce vita des premières années, à vouloir compter sur un revenu d’appoint. Imaginez alors tout le potentiel d’un extranet/ideagora d’entreprise qui leur offre cette possibilité tout en les laissant travailler de la maison, ce qui réduit, entre autres, les frais en espace-plancher pour les entreprises.
Plusieurs entreprises comme IBM (ci-dessus) proposent déjà aux retraités de troquer leur expertise contre des $$$ sonnants et trébuchants et favorisent aussi le transfert d’expertise entre les jeunes travailleurs et leurs aînés à la retraite. Ce phénomène de création de communautés «idéagoriennes» numériques d’échange d’expertise et de savoirs, soyez-en certains, va s’accélérer et doit faire partie d’un plan numérique inclusif.
4 Commentaires
Super billet Claude !
À cause de notre improductivité, il faudrait sans doute viser les deux pôles: plan Nord (exploitation des richesses naturelles) et plan Numérique (exploitation du territoire pour les entrepôts de données, de l’hydro-électricité et de la matière grise !). Dans ce dernier cas, c’est vrai qu’il risque de générer moins d’emplois que dans le premier (plusieurs emplois de type manuel/technique à court et moyen terme contre moins d’emplois mais à plus long terme).
Quant à l’exploitation des richesses du Nord, il faudrait, à tout le moins, l’accompagner d’une solide politique de transformation ( et ne pas tout laisser partir comme on l’a fait par le passé…).
Un plan numérique exigerait aussi une politique de transformation: ton fameux savoir basé sur les données…
Autrement dit, il ne faudrait surtout pas que le Québec devienne un endroit où on y fait que passer des fils et où on retrouve que des immenses centres de données sur des terrains vendus ou loués à bon marché. Je ne suis pas convaincu qu’à eux seuls, cela serait suffisant pour attirer de grands pôles numériques. Pas plus qu’en Alaska ou en Sibérie d’ailleurs…
Michael Palmer annonçait déjà en 2006 « Data is the new oil ». Voici un passage intéressant:
“Data is just like crude. It’s valuable, but if unrefined it cannot really be used. It has to be changed into gas, plastic, chemicals, etc., to create a valuable entity that drives profitable activity; so must data be broken down, analyzed for it to have value.”
Source: http://ana.blogs.com/maestros/2006/11/data_is_the_new.html
L’un et l’autre (plan Nord et plan numérique AVEC politique de transformation) exigeraient toutefois des sacrés changements de paradigmes tant au plan de l’éducation (primaire, secondaire et supérieure) que des modèles d’affaires, avec toutes leurs répercussions politiques, sociales et économiques.
Doit-on rester optimistes ?
😉
Patrice Leroux
[…] Claude Malaison […]
[…] blogues ou donné leur avis à des médias traditionnels sur l’importance de se doter d’un Plan numérique pour le Québec. Je pense à Sylvain Carle, Michelle Blanc, Mario Asselin, René Barsalo, Michel […]
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