Gestion des organisations Ideagoras

Mais si seulement l’entreprise savait tout ce qu’elle sait…

13 mars 2013

C’est très rare que je fais des billets sur les Digital Natives et la génération des Y ou si vous préférez sur la génération C, telle que définie par les travaux du Cefrio. C’est probablement parce qu’on en a trop parlé, ou écrit que je me garde une petite gêne sur le sujet… Pourtant, j’interviens régulièrement dans les conseils d’administration afin de décoder pour leurs membres et au profit de mes clients, les méandres des nouvelles générations nées avec le Web, celle que l’on nomme les Digital Natives ou natifs du numérique, terme mis à la mode par l’auteur new-yorkais Marc Prensky.

Le succès dans toutes mes conférences, c’est que je n’en suis pas un, je suis un immigrant du numérique, un Baby Boomer qui devrait être à la retraite… Ce qui fait qu’avec ma barde poivre et sel, on a tendance à me prendre au sérieux dans ces hautes sphères du pouvoir 1.0. alors que je leur parle de nouvelle hiérarchie, de collaboration, d’innovation, de responsabilité corporative, du devoir de mémoire. En début de conférence, j’aime bien faire un quizz afin de bien camper le fossé générationnel. En effet, rares sont ceux et celles qui lèvent la main plus de cinq fois quand je leur demande :

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Vous avez fait le décompte ? Ça va relativement bien pour Facebook, Twitter et Skype mais ça se gâte pour les autres. La moyenne des immigrants est donc de 3 sur 10 alors que pour les natifs c’est 8 sur 10. Le médian entre la génération Y et la X est à 5 sur 10. Je me demande à quel point il faut se méfier des catégorisations sociologiques de ce genre. Je un immigrant du numérique et pourtant, je me comporte que un natif, anachronisme ??? Comme certains, (trop peu de ma génération) je maîtrise toutes les technologies du Web 2.0 (j’ai 9/10) et m’en fais le plus ardent promoteur. Je décode le Serious Gaming, le Cloud Computing, les univers virtuels, les LifeLogs alors que je devrais songer à la retraite en lisant mon journal papier ou regarder à la télé, les reportages sur les accros. au Gaming et  pester contre les jeunes.

Je leur présente ensuite le tableau ci-dessous qui est largement inspiré parRené Barsalo et Marc Prensky et qui fait forte impression. Ils voient clairement que les «natifs», soit les Y, la NetGen et la Virtual Gen vont entrer à pleines portes dans les entreprises et vont entrer avec des usages technologiques très différents et déstabilisants pour eux.

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Mais ce qui est surtout parlant dans ce tableau, c’est que dans les cinq prochaines années, on verra une relève de la garde massive dans les entreprises. Ici au Québec, 45% de la force de travail sera éligible à la retraite. Les Baby Boomers vont quitter et les X vont enfin pouvoir profiter du pouvoir qui leur a si longtemps échappé mais pas pour longtemps, surtout s’il ne savent pas s’adapter aux nouveaux usages des générations suivantes et surtout s’adapter à un nouveau style de gestion qui n’est pas basé sur la hiérarchie verticale. Pourtant les X ont été formés dans cette hiérarchie et veulent désespérément le pouvoir qui s’y rattache.

Avant de quitter le pouvoir pour la retraite, et c’est ce que je leur explique, les dirigeants des entreprises ont un devoir corporatif de mémoire. Ils se doivent de léguer aux autres générations une entreprise qui est en pleine maîtrise de son expertise, donc qui n’a pas perdu la mémoire. Et cela passe nécessairement par ce que j’écrivais plus tôt: une nouvelle hiérarchie transversale, nommée «Wirearchy» par Jon Husband, par la collaboration, l’innovation, une responsabilité de legs corporatif et un  devoir de mémoire. Pourtant c’est n’est pas ce qui se passe actuellement: il y a ce mouvement de départ à la retraite mais les entreprises ne font rien pour retenir l’expertise et ne font rien pour effectuer le transfert intergénérationnel. Au contraire… Qu’arrive-t-il quand un employé part à la retraite ?

On lui fait un beau «party» de départ, on lui donne un cadeau et hop ! Bonne chance pour la suite… Pendant ce temps au bureau, on vide ses tiroirs des dossiers qui s’en vont soit aux archives, soit à la récupération. De plus, le type de l’informatique vient nettoyer le disque dur de l’ordi pour le prochain occupant. Adieu la mémoire, adieu l’expertise de plus de 20 ou 30 ans. Toujours dans ma présentation, je montre plusieurs exemples de perte de mémoire dont le plus célèbre étant celui de la NASA.

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La NASA a construit et opéré le plus gros et puissant lanceur jamais conçu par l’Homme soit Saturn V. Pourtant, pour son prochain programme spatial, elle planche sur un nouveau lanceur soit Arès I. Que s’est-il passé ?. Les deux phrases ci-haut résument bien. La NASA a perdu trace d’une partie des plans de Saturn V, probablement disparus avec les ingénieurs partis à la retraite mais comme le note un des ingénieurs actuels qui conteste cette perte, le problème est plus que les fournisseurs de la NASA ne sont plus capables de fournir les pièces nécessaires… L’agence spatiale perd sur tous les tableaux, édifiant !

Alors, d’où viendra le changement de paradigme ? Qui réussira à aplatir ou horizontaliser la hiérarchie ? À faire de la collaboration un usage commun plutôt qu’une utopie ? Qui mettra en place la stratégie et les outils de mémoire pour l’entreprise ? Il faut que ce soient les hauts dirigeants avant qu’ils prennent eux-mêmes leur retraite. Ils ont, je le répète, un devoir de legs corporatif. De transmettre à leurs successeurs, une entreprise saine d’expertise et de mémoire. On pourrait aussi appeler cela de la saine gouvernance…

Et qui de mieux pour les aider dans cette tâche que les retraités… Eh oui, encore les «traditionnalistes» et les Boomers du tableau ci-dessous.. De 2015 à 2020, soit sur cinq ans, cinq générations vont côtoyer en entreprise. Une fenêtre d’opportunités idéale pour que les deux vieilles générations passent le savoir aux deux plus jeunes. Et oui, les X seront encore pris en sandwich entre les deux…

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Et pourquoi cette aide ? Ils ne sont pas bien à la retraite sous les palmiers de la Floride ? Il y a plusieurs facteurs de réponse: De un, le fait qu’il n’y aura pas assez de natifs pour suffire à la demande d’emploi. Ça se sent déjà; on commence à en parler, à dire qu’il faudra trouver des moyens de faire revenir les têtes blanches sur le marché du travail ou de les retenir plus longtemps. Déjà certains pays dont la France se sont penchés sur le problème de l’âge de la retraite. De deux, le fait que ces mêmes têtes blanches ne veulent pas arrêter de travailler, parce qu’il veulent toujours faire part d’un réseau actif et d’autre part parce qu’ils ont besoin de revenus d’appoint et qu’ils peuvent maintenant le faire sans perdre leur liberté de retraité. Dans une de mes «slides» de ma conférence sur le mémoire d’entreprise, je montre que 62% des entreprises embauchent des retraités comme consultants. Des consultants qui reviennent à temps partiel… Ou encore ces derniers le font à distance et s’inscrivent sur des plates-formes de partage d’expertise payantes telles qu’Innnocentive ou YourEncore.

Certaines entreprises comme IBM ont vite compris que ces plates-formes seraient d’une grande valeur. En effet, quelle entreprise peut se payer le luxe de voir ses retraités vendre leur expertise à la concurrence ? Chez IBM, on a favorisé la création d’une plate-forme de partage créée par les retraités eux-mêmes. Cela a donné The Greater IBM Connection. Bien beau tout cela mais il y a un os… Les jeunes sont plus mobiles qu’avant, ne valorisent guère le «culture d’entreprise», donc ne restent pas aussi longtemps qu’avant. Ils passent de cinq à dix ans, des fois moins pour ensuite aller voir ailleurs, compléter leur expérience ou simplement changer d’air. Comment alors pérenniser l’expertise ? Les méthodes de mentorat à la Fluor (image ci-dessous) ne fonctionneront plus.

fluor

C’est là qu’entreront en jeu les carnets de vie ou LifeLogs en chinois. Mais cela c’est un autre billet…

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1 commentaire

  • Répondre Michel Girard 14 mars 2013 - 19 h 27 min

    Tous vos billets m’intéressent mais celui d’aujourd’hui me touche particulièrement, ne serait-ce que par une certaine parenté de profil générationnel 🙂

    Sans aucune flagornerie, les réflexions des experts de ma génération, dont vous êtes une tête d’affiche, ont une crédibilité et une résonnance particulières. Et votre contribution à la réflexion et à l’apprentissage collectif a sans doute une effet de motivation important sur les quelques babyboomers qui se passionnent pour Internet, le Web et les technologies de l’information.

    Je n’ai pas d’expertise sur le choc des générations en entreprise mais mes modestes observations me laissent croire que les nouvelles générations ne semblent pas si pressées de bouleverser la hiérarchie organisationnelle. Ce que je déplore, c’est que la majorité des dirigeants actuels ne semblent pas prendre conscience que les nouveaux modes de travail peuvent très bien coexister avec les modèles traditionnels mais il y a un prix à payer et le changement n’est pas le sport favori de l’homo sapiens…

    Autre point sur l’utilisation des TI par les babyboomers. Dans mon cas, les TI représentent un terrain propice à resserrer les liens avec mes enfants et mes petits enfants. Pas seulement comme utilisateur, mais comme apprenant et explorateur de ce qui se développe à tous les jours sur le Web entre autres. Quel plaisir !

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